Sous le régime du Maréchal Pétain, la ville de Vichy a été réquisitionnée pour devenir la capitale de la France libre. Même des décennies après, cette image de la ville comme collaborationniste reste très ancrée dans l’inconscient collectif. Michelle London, présidente de l’association cultuelle israélite de Vichy, revient sur la situation actuelle de la ville et évoque son projet de livre à la mémoire des déportés.
Michelle London feuilletant ses archives sur la période de collaboration dans la synagogue de Vichy. Vichy, le 8 décembre 2023. Photo : Armand Guillou.
Pensez-vous que la ville de Vichy essaye de se « racheter » par rapport à son passif antisémite ?
Aujourd’hui, le maire de Vichy, Frédéric Aguilera, a une réelle volonté de faire connaître cette période, mais aussi de mettre en avant les autres atouts de la ville comme le thermalisme. Le maire participe à toutes les cérémonies de commémoration. Mais le terme « racheter » ne me convient pas. Le maire pense, et à raison, que les Vichyssois ne sont pas responsables de ce passif. Le gouvernement français en est le seul fautif. Il est venu s’implanter dans la ville car il y avait une capacité hôtelière très importante due au tourisme thermal. En raison de ce même tourisme, Vichy était également parfaitement desservie par les routes et les chemins de fer.
En tant que présidente de l’association cultuelle israélite de Vichy, quelles sont les relations que vous entretenez avec la municipalité ?
Déjà, il me semble important de souligner que les lieux de culte sont uniquement à la charge des fidèles. La municipalité ne peut pas intervenir dans son fonctionnement. Mon rôle à moi est donc de gérer la prospérité de la synagogue. Il me faut payer le rabbin, compter les frais de chauffage, organiser les fêtes religieuses. À cause de la guerre, je n’imagine pas une minute que la synagogue de Vichy ne puisse pas fonctionner, surtout qu’elle est la seule de toute la région Auvergne. D’autre part, comme tous les cultes, j’entretiens de très bonnes relations avec Frédéric Aguilera, qui se porte accessible et à notre écoute. Lorsque j’ai voulu faire reconnaître Etienne Espinel comme « Juste parmi les nations », il m’a fallu l’aval du maire. Il m’a aidée à faire accélérer les démarches pour que quelque temps après, la cérémonie puisse avoir lieu.
Qu’est-ce que la mairie a mis en place ces dernières années pour appuyer sa volonté de reconnaissance de cette période sombre de l’histoire ?
La première initiative prise par Frédéric Aguilera après sa victoire aux municipales en 2017 est la création d’un square Michelle Crespin à côté de la gare. J’étais venue dans son bureau avec des documents à l’appui pour lui raconter l’histoire de ce bébé de cinq mois, tatoué et déporté avec sa famille. Je lui avais fait la demande de disposer une plaque commémorative sur la maison qui l’avait vu naître. Il a fait encore mieux puisqu’il a érigé un square Michelle Crespin. Ensuite, Frédéric Aguilera s’est rapproché du mémorial de la Shoah. Il a également renommé l’espace extérieur de l’opéra, lieu dans lequel les pleins pouvoirs ont été votés au maréchal Pétain, espace Simone Veil.
En raison du conflit entre Israël et le Hamas, une recrudescence des actes antisémites est apparue en France. Sentez-vous un antisémitisme davantage présent à Vichy en raison du passif de la ville ?
Au tout début du conflit, j’ai eu cette conversation avec un journaliste d’une chaîne de télé. Je lui ai dit que dans l’Allier, il n’y avait que 80 familles de confession juive et une seule synagogue dans la région. Il ne peut donc pas y avoir d’actes antisémites puisque la communauté est très restreinte et qu’il n’y a ni écoles juives, ni commerces casher. Cependant, nous restons constamment en relation avec le ministère de l’Intérieur et le commissariat pour des raisons de sécurité. Nous leur donnons nos horaires de fréquentation et ils assurent la sûreté pour les grandes fêtes. Pour l’instant, c’est relativement calme. Honnêtement, j’espère que cela va durer.
« Je veux raconter des histoires humaines »
Vous avez pour projet d’écrire un livre recueillant des témoignages et des histoires de familles de déportés. Comment vous est venue l’idée de cet ouvrage ?
J’habite à Vichy depuis plus de 50 ans et je suis présidente de la communauté israélite. Par mon statut, je me suis rendu compte qu’il y avait énormément de personnes qui, instinctivement, venaient me raconter leur histoire familiale en lien avec cette période sombre qu’a pu connaître la ville de Vichy. Cette idée m’est venue pendant le premier confinement dû au Covid-19, en rangeant mes archives. Je me suis fait la réflexion que ces témoignages n’étaient jamais mis en avant dans les livres d’histoire. Je veux raconter des histoires humaines comme celle d’Etienne Espinel, ce fameux buraliste qui a été fait « Juste parmi les nations » en 2021. Il avait caché et protégé cinq membres d’une famille juive durant la guerre. Grâce à lui, 350 descendants peuvent être rattachés à cette lignée aujourd’hui.
Pourquoi ce projet d’écriture est-il important à vos yeux ?
Il ne faut pas oublier ces histoires humaines et ces témoignages qui se cachent derrière l’atrocité de la guerre, surtout dans cette période difficile avec la réémergence de l’antisémitisme. Il faut pardonner, mais ne pas oublier. Ces gens ont été marqués sur plusieurs générations. Ce sont les enfants et les petits-enfants qui viennent me raconter ces histoires de déportés. Parfois, c’est sur le lit de mort du grand-père ou de la grand-mère que certains apprennent qu’ils étaient d’origine juive. En raison du traumatisme de la guerre, les familles cachaient leur statut. Je recueille la parole de ces personnes depuis de nombreuses années. Pour l’instant, je n’ai pas encore entamé le processus de rédaction, mais j’ai tous les éléments pour le faire. La seule question que je me pose par rapport à l’écriture de cet ouvrage est la suivante : est-ce qu’il peut intéresser des gens en dehors de la communauté juive ? Mais peu importe. Je le sais, j’écrirai ce livre.
Propos recueillis le 8 décembre 2023 par Armand Guillou.
